Dis mon nom
Le nom n’est pas un simple identifiant ; il recèle plusieurs pouvoirs. Par exemple, en nommant une chose, nous affirmons notre domination sur elle. C’est pourquoi, dans de nombreuses traditions, connaître le nom d’un démon est crucial pour le soumettre. Lorsque le démon révèle son nom, il cède une part de son pouvoir, dévoilant sa nature intime et se rendant vulnérable.
Dans cette série, j’invite délibérément à prononcer mon nom, non pas pour lui donner du pouvoir, mais pour le lui retirer. En le nommant, il s’expose, brisant son emprise sur moi et me libérant de ses tourments. C’est un acte d’exorcisme personnel, une métaphore de la lutte contre mes propres démons intérieurs.
Dès mon plus jeune âge, j’ai été confronté à la cruauté du harcèlement parce que je suis queer. J’ai été traité de noms désobligeants et victime de violence physique. Les rares manifestations d’affection que je recevais n’étaient souvent que des leurres destinés à me faire du mal. Cette réalité m’a profondément marqué, me rendant hypervigilant face à toute expression de bienveillance. J’étais incapable d’accepter l’amour sans déclencher en moi des compulsions autodestructrices.
Adulte, j’ai trouvé refuge dans la photographie. Je réalisais des portraits de mariage et des séances de famille en capturant des instants de bonheur artificiel pour fuir ma propre douleur. Mais les compliments de mes clients, leurs marques d’appréciation, ne faisaient qu’attiser ma culpabilité et mon sentiment d’imposture. Je sabotais inconsciemment leur bonheur en retardant exagérément la remise de leur photo, m’assurant de leur déception.
La pandémie est arrivée et a amplifié ma solitude, ravivant les mauvais souvenirs de mon passé. Par ennui et colère, je me suis replongé dans ces images figées du bonheur des autres. En les manipulant numériquement, j’ai été frappé par des figures inquiétantes qui semblaient s’imposer dans les images. C’était comme si mes démons intérieurs se manifestaient physiquement, me narguant et me rappelant leur présence constante.
Simultanément, une étrange coïncidence s’est manifestée : mes clients ont commencé à orthographier mon prénom de manière erronée, y ajoutant un « D » superflu. Au début, je pensais que c’était simplement une erreur d’inattention. Mais plus cela arrivait, plus j’étais troublé. Cette transformation involontaire en « SIMON DÉMON » a déclenché une prise de conscience en moi : mon nom porte le poids de mes souffrances.
En prononçant mon nom transformé, j’espère enfin en être délivré. Je veux qu’il résonne désormais comme un cri de libération, un exorcisme personnel qui me libère enfin des démons du passé.
2020—2024
-Exposition, PhMuseum Days International Photography Festival, Italie